27.5.10

Comatose

J'ai bien dormi, j'ai beaucoup dormi, et au réveil j'apprécie cette petite bruine de presque Juin, ce crachin tiède à 20° de fin de matinée, la ville nous propose une séance géante de brumisateur et s'offre à elle-même un hammam, et l'on peut comprendre, on ne lui en veut pas au contraire, cette grisaille moite est bien vivable, il fait bon, on ressortira un peu humide des excursions à l'extérieur mais certains de n'être jamais trempés jusqu'à l'os, petite pluie Pampers même mouillée elle est sèche, elle ne dérange pas, non au contraire on se sent puissants d'un super pouvoir, ignorer les gouttes, "il pleut et je suis sec, c'est génial !" dit le subconscient, en plein jour on allumera dans un doute sans doute tous les néons de la salle d'étude, et paradoxalement cette journée grise sera une de celles où on y verra le mieux de l'année, extérieur gris clair plus blanc fluorescent des tubes c'est la formule parfaite, on aura pour une fois envie de s'avancer dans les devoirs, on ne regrettera pas le climat, il se relaxe et se prépare pour l'été, il met clairement le présent en mode occupé à son entretien pour nous permettre de ne penser qu'à l'avenir, nous aussi soyons prêts, ce sera bien, c'est sûr, nous serons pour une fois tous contents et sans remords officiels que nos parents soient assez aisés, quelle facilité, aller partout dans le confort, oui ça on peut le faire, oui ça aussi, tout en fait si on veut, ah ça va être bien, bon mais allez il y a quoi en maths, qui l'a fait celui là vas y donne, cool, et je regarde moi, ce sain spectacle devant derrière toute la salle même le pion se sent décidé à être bien et sait qu'il le sera, il fait des trucs pour lui, il peut, l'ambiance est intégrée, je regarde tout ce monde absorbé par le futur et ses promesses qui sont déjà tenues, rejeté loin dans ma chaise les fesses au bord, les aisselles passées au dessus du dossier, puis les bras, pendant mollement derrière, bientôt les fourmis arriveront, mais pas encore, je suis bien, je suis lourd, abruti de langueur mes paupières qui luttent et ma nuque qui cède sont une torture délicieuse, je pourrais rester mille ans dans cet entre-deux qui sait si bien ne pas se donner trop, dans cet état qui vacille, je suis dans la décontraction corporelle parfaite la seule qui permet de surfer ce seuil, comme en voiture je me laisse bringuebaler dans les virages, inertie aquatique, une brise de sommeil, je suis un ado qui dort énormément et adore ça, je dors déjà dix heures de 21 heures à 7 heures, puis encore deux ou trois dans la journée, en cours, sur un banc, dans des marches même, je dors à mort, mais pas encore je les regarde, studieux, embrasse la salle d'yeux mi-clos, savoure, je vais bientôt me redresser dans un unique mouvement et me plonger la tête dans mes bras, mon blouson en jean en oreiller creusé, un nid douillet, disposé sur la table et personne ne me dira rien ils me connaissent bien je suis un sacré numéro, le deuxième de la classe et c'est si bon cette facilité, et j'absorbe sans m'en rendre compte entendre les autres parler des devoirs et sentir leurs ondes de cerveaux qui bossent me suffit à travailler par procuration  je ne sais pas comment on apprend mais ça rentre mon subconscient toujours génial il se nourrit de l'environnement et l'agence comme il faut, j'ai une chance sans m'en rendre compte je m'endors je crois mes très longs cheveux en voile sur le visage mon souffle cogne sur la peau et me revient tout chaud la bulle se crée, j'enroule mon index dans une mèche lisse, caresse mes poils de bras, puis mon cou et la veine jugulaire du dos de deux doigts puis je crois que mes deux lèvres en coussinets de chair embrassent mon bras, qu'est-ce que c'est bon, encore une heure d'étude comme ça, j'en voudrais cent, se délecter d'être puni, être collé toute la journée, collé à de la peau, des cheveux, mon souffle, mes bras, mon souffle qui caresse la peau, j'enroule mon index dans une mèche lisse, caresse des poils de bras, puis la veine jugulaire du dos de deux doigts mes lèvres s'avancent encore, une paume chauffante remonte le bras, une épaule ronde, une clavicule, mes lèvres dessus, doucement, ma main, un haut de poitrine, une paume, son ventre, une forme faite pour ma paume, la tranche de mon poing entrouvert et de chaque côté de la peau lisse et fine comme celles des paupières ou comme celle de l'extérieur des seins, ou de l'aine, presque poudrée, mes doigts, cette peau fragile, le dos de ma main, mes tendons, un téton dynamique qui résiste dessous, la tranche de ma main qui balaye un ventre, un duvet, la tranche qui bute sur une ceinture, des doigts qui passent à peine dessous, décoiffent le haut de quelques poils puis la paume qui se hisse sur le ventre, le bout des doigts appelés par les côtes, et la main entière qui soupèse, puis la tranche entre les seins puis c'est tellement prenant qu'il faut tout enlacer des mes deux bras, et mes doigts qui se touchent eux-mêmes mes coudes et des cheveux plein le visage puis une sonnerie, et ces bras, ces cheveux, qui se soulèvent du creux tout chaud la face fripée écrite par mes songes, j'émerge dans le brouhaha des sièges qui se reculent des sacs qui se jètent sur les épaules, des baskets qui crissent sur les gravillons ramenés de la cour, la gadoue en train de sécher sur le parquet, des cris de ceux déjà dans les couloirs, du bain de néon qui va s'éteindre, et le gargouillis sûr d'être entendu de mon ventre. Il y a quoi à midi ?
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